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Transaction en assurance automobile : l’autorité de chose jugée, toujours et encore

Civil - Contrat
Affaires - Assurance
15/03/2021
Par un arrêt en date du 4 mars 2021, la Cour de cassation rappelle, au visa des articles 1103 et 2052 du Code civil, qu’à la transaction conclue entre la victime et l’assureur est attachée l’autorité de chose jugée qui rend impossible la contestation postérieure de l’indemnisation des postes de préjudices autres qu’initialement prévus et sans lien direct avec l’accident.
Faits et solution

En l’espèce, à la suite d’un accident de circulation survenu en 1979, une personne est atteinte des dommages corporels conséquents.

L’assureur du véhicule impliqué dans l’accident – la société MAAF – indemnise la victime suivant plusieurs protocoles transactionnels successifs. Le protocole signé en 2007, prévoyant la réparation du poste de préjudice lié à l’assistance par tierce personne, avait fixé à 3 420 euros une rente mensuelle au titre des frais d’assistance humaine à la structure collective que la victime occupait alors. Ladite transaction a également fixé une rente trimestrielle de 625 euros au titre des frais d’assistance lors des retours au domicile.

Le rapport d’expertise médicale du 5 août 2015 a fait mention de l’aggravation de l’état de la victime due à une pathologie neurologique dégénérative apparue en 2020, sans lien avec l’accident.

Ainsi, en invoquant une aggravation de son état de santé et son projet de changement de lieu de vie, la victime a assigné l’assureur en indemnisation de ses préjudices non inclus dans la transaction de 2007.

La Cour d’appel de Pau satisfait sa demande en accordant en lieu et place des sommes versées au titre de la transaction de 2007, une rente mensuelle de 17 877 euros à compter du 1er août 2016, qui devrait être suspendue si la victime est placée dans une structure de soins spécialisé.

Il est à noter que le protocole transactionnel prévoyait qu’en cas d’aggravation de l’état médical, l’indemnisation des préjudices nouveaux en relation directe avec l’accident, sans remise en cause de la transaction, ne pouvait recevoir application. Pour la cour d’appel « la non-imputabilité de l’aggravation de l’état de santé de [la victime] à l’accident de 1979 constatée par l’expert X n’est cependant pas exclusive d’une possibilité de révision des conditions d’indemnisation de celle-ci telles que fixées dans le protocole transactionnel par application de la clause de révision « en cas de nouvelles modifications de la situation de la victime » qui doit être analysée comme concernant des hypothèses autres que celle de l’aggravation de l’état médical et, notamment, le cas d’un départ de l’établissement dans lequel elle résidait à la date de la transaction ».

Les juges de cassation condamnent cette analyse au visa des article 1103 et 2052 du Code civil. Selon ces textes, affirme la Cour, « la réparation du dommage est définitivement fixée à la date à laquelle une transaction est intervenue, celle-ci faisant obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ». Ainsi « en procédant à une nouvelle évaluation des besoins liés à l’assistance par un tiers personne », sans tenir compte des termes de la transaction de 2007 qui « prévoyait la possibilité d’analyser les nouveaux besoins éventuels de la victime seulement en cas de modifications de sa situation, la cour d’appel a méconnu l’autorité de la chose jugée y étant attachée et violé les textes susvisés ».

Éléments d’analyse

L’article 2044 alinéa premier du Code civil donne une définition claire d’une transaction qui « est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Un contrat qui suppose donc la présence de deux éléments constitutifs : des concessions réciproques des parties (élément objectif) ainsi que leur volonté de mettre fin au litige (élément subjectif). En outre, et comme conséquence, « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet » (C.civ., art. 2052).

Toutefois, appliquée aux accidents de circulation, cette définition paraît moins stable. Toujours à la suite d’un accident de circulation, un mineur a été blessé. Ses parents, agissant en qualité d’administrateurs légaux de leur fils et pour eux-mêmes, ont transigé avec l’assureur. La cour d’appel en se fondant sur l’absence de concessions réciproques a refusé de reconnaître la validité de la transaction ainsi conclue. L’arrêt est censuré par la Cour de cassation qui pose le principe selon lequel la transaction de la loi Badinter « ne peut être remise en cause en raison de l’absence de concession réciproque » (Cass. 2e civ., 16 nov. 2006, n° 05-18.631), par dérogation au droit commun. Ce faisant, elle enlève à la définition précitée l’élément objectif principal.

Or, la particularité des transactions en matière d’accidents de circulation se manifeste aussi sur les effets de l’indemnisation de la victime. L’effet extinctif de la transaction peut être très défavorable à la victime notamment en cas d’aggravation de l'état de la victime postérieure à sa conclusion : il empêchera toute action de la victime. Afin d’éviter des situations contraires au but même poursuivi par la loi Badinter, l’article L. 211-19 du Code des assurances énonce que « La victime peut, dans le délai prévu par l'article 2226 du Code civil [dix ans], demander la réparation de l'aggravation du dommage qu'elle a subi à l'assureur qui a versé l'indemnité ». L’aggravation est considérée comme un dommage nouveau par rapport aux constatations de l’expertise médicale initiale. Ledit dommage doit avoir un lien direct et certain avec l’accident.

Dans notre espèce toutefois, l’expertise médicale du 5 août 2015 a démontré que la pathologie nouvelle était sans lien avec l’accident. Ainsi, l’article L. 211-19 précité ne pouvait recevoir l’application. Qui plus est, le protocole transactionnel n’autorisait nullement la remise en cause des indemnités d’ores et déjà allouées en cas de modification de la situation de la victime, « mais ouvrait simplement droit au paiement d’une indemnité complémentaire correspondant aux besoins nouveaux », ce qu’invoquait en sa défense l’assureur. Or, la cour d’appel a remis à plat toute l’indemnisation, y compris des besoins antérieurs définitivement évalués et liquidés en 2007.

Si, compte tenu des faits de l’espèce, la présente solution ne devrait pas surprendre, elle pourrait néanmoins provoquer quelques interrogations quant au sort réservé au principe d’indemnisation intégrale des victimes au vu notamment de la sévérité des effets juridiques de la transaction.

Par exemple, l’action en complément d'indemnisation sur des postes de préjudices ni prévus ni indemnisés a été refusée à une victime y ayant renoncé à l’occasion d’une transaction (Cass. crim., 13 juin 2017, n° 16-83.545). Dans une autre affaire plus récente, la deuxième chambre civile a rejeté la demande de la victime en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices relatifs aux frais de matériels médicaux et équipements spécialisés et à l'acquisition d'un logement adapté, car la transaction signée « avait pour objet de couvrir l'ensemble des postes de préjudice résultant de l'accident » (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-17.677).

Ici, la loi Badinter est prise au piège de son désir d’améliorer le sort des victimes pour les indemniser le plus rapidement possible par le biais notamment du mécanisme de transaction. Ainsi, comme le suggère à juste titre la doctrine, « ne serait-il pas temps de songer à une autre qualification de tous les règlements amiables qui en résultent ? » (Abravanel-Jolly S., Effets juridiques de la transaction en assurance automobile, Bulletin Juridique des Assurances n° 54, comm. 16). Si, en outre, l’on admet que la transaction en matière d’accidents de circulation est particulière à plus d’un égard, pourquoi ne pas pousser la logique de la loi Badinter jusqu’au bout et admettre la possibilité de revenir sur l’indemnisation des dommages corporels non inclus dans la demande initiale ? Une solution qui serait favorable à la victime et conforme à l’intention scellée dans cette loi.

Qui plus est la majorité des demandes d’indemnisation des accidents de circulation se solde par un accord transactionnel, ainsi l’intérêt pratique de trouver une solution propice aux victimes est non négligeable. Allant dans ce sens, le projet de la réforme de la responsabilité civile permet, dans son article 1262 alinéa 3, « en cas de dommage corporel, de demander une indemnisation complémentaire pour tout chef de préjudice résultant de ce même dommage mais non inclus dans la demande initiale ». Faut-il encore que ledit projet puisse voir le jour…
Source : Actualités du droit